dimanche 14 mars 2010

Le vieil homme et l'enfant

Il s’appelait "Léonet", mais quand on parlait de lui, on disait "Le Léonet".
C’était un vieux garçon qui vivait avec sa sœur Tancette, également célibataire.
Il travaillait ses vignes et avait tout du vieil original.
Il pesait largement son quintal et une assiette pleine ne lui faisait pas peur.

Il vivait à son rythme qui n’était pas celui des autres. Sa pendule affichait un décalage d'environ deux heures avec la "légale", ce qui l’amenait à se lever lorsque les autres travaillaient déjà ; il allait travailler lorsque les autres rentraient ; il prenait son repas lorsque les autres avaient fini de digérer et se couchait fort tardivement dans la nuit.

Pour travailler ses vignes, il avait un cheval, mais un cheval entier. Et comme cet animal avait du feu sous les sabots, il ne fallait pas le solliciter beaucoup pour qu’il fonce sur les chemins.
On pouvait voir ce cheval attelé à la grande charrette aux roues à bandage de fer, traverser en trombe le village, dans un tintamarre, Léonet planté droit, tenant les rênes, pendant que sa sœur accrochée aux ridelles lançait des " Pas si vite Léonet ! ". Les enfants s’arrêtaient pour le regarder passer et s’exclamaient en riant  "C’est Ben Hur ! ".



Ce personnage pittoresque s’était lié d’amitié avec un enfant du voisinage.
Un enfant qui vivait avec sa mère et ses grands parents. Il était de santé fragile et recevait régulièrement des soins.
En apparence, rien de commun entre ces deux êtres, mais on peut comprendre qu’un enfant sans père et un homme sans enfant puissent être attirés l’un par l’autre.
Et de fait, chaque fois qu’il le pouvait, l’enfant courait chez Léonet ; tous deux s’asseyaient sur un banc et entamaient des conversations sans fin.
L’enfant voulait tout savoir. Et Léonet, qui avait beaucoup de patience, parlait, parlait, devant l’enfant qui écoutait.
Or, à 8 ou 9 ans, la santé de l’enfant se détériora et il dut partir en consultation. Le spécialiste lui expliqua qu’il devait subir une nouvelle intervention chirurgicale et en fixa la date.

Aussitôt revenu chez lui, l’enfant alla retrouver son ami Léonet.
Il avait compris la gravité de son état de santé :"Je vais partir à Montpellier pour être opéré, mais je sais que je vais mourir, alors je suis venu te dire adieu."
Léonet, interloqué, tenta de raisonner l’enfant, essaya de lui redonner confiance, mais en vain.

L’enfant fut hospitalisé pour être opéré et il mourut lors de l’opération.

La mort d’un enfant est toujours difficile à accepter et celle-ci émut la population du village.
Elle fut bien plus bouleversée encore lorsque Léonet, inconsolable, raconta comment cet enfant lui avait annoncé sa propre mort, avec beaucoup de lucidité, sans s’apitoyer sur son sort, sans une plainte.
Tancette est morte, renversée par une voiture. Le cheval a été vendu et sur les chemins du village on ne croise plus guère que des tracteurs.
Léonet s’en est allé lui aussi, et il me plait à penser que Saint Pierre a réservé à nos amis un banc, à l’ombre d’un tilleul, où ils ont pu reprendre des discussions qui n’en finissent pas.

Il vous attend :
Le Musée du charroi à Salmiech (Aveyron)

1 commentaire:

  1. Belle histoire d'amitié du temps passé. C'est toujours très agréable de vous lire.
    Ce billet et "Léonet" accompagneront ma journée.

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