jeudi 15 octobre 2009

C'était Monsieur Fenaille



Micro-trottoir :
- «Fenaille, c’est qui pour vous ? … ? …mais encore ? »
Pour un sévéragais, ce nom évoque l’ancien sanatorium devenu Centre Médical Maurice Fenaille, pour un ruthénois, c’est le beau musée de l’Hôtel de Jouery .
- Un peu court quand même !.... Et puis je n’ai pas demandé « c’est quoi ? » mais « c’est qui ? ». Nuance.

- Oui, mais toi, madame-je-sais-tout, qu’en dis-tu ? Et pourquoi cette question, aujourd'hui, sur ce personnage? Sauf erreur, il ne fait pas partie de tous ces mal élevés, nouveau, ancien ou futur ministre, qui, ces derniers jours, squattent nos salons via la télé.
Maurice Fenaille n’a jamais fait la une des journaux pipole. Rappelons qu’il était né en 1855, qu’il est décédé en 1937, et qu’il ne peut donc pas hanter notre actualité. Sauf que...
Sauf que, dans l’été, je découvre sur papier glacé l’annonce d’une agence immobilière spécialisée, oui ma chère, dans les demeures d’exception. Les photos ne laissent aucun doute: le château de Monsieur Fenaille est à vendre !...
(Evacuons les soupçons : je ne suis pas intéressée, je n’ai nullement les moyens d’acheter ni d’entretenir un tel pied à terre)

Maurice Fenaille avait acquis ce château pour l’offrir en cadeau de mariage à son épouse, Marie Colrat, qui était née en ce lieu. Magnifique présent ! De la pierre ! pas celle vendue à l’unité et montée en bague de fiançailles…
Il est vrai que l’heureux époux a des moyens. Fils de son père, il gère la société Fenaille et Despeaux, exploite la « saxoléine » et accompagne le développement de l’entreprise qui deviendra – plus tard – Esso Standard.

Mais cette fortune ne sera jamais celle d’un Harpagon.
Riche, c’est vrai ; érudit, vrai aussi, mais surtout généreux, tel sera Maurice Fenaille.

La première guerre mondiale faillit lui ravir un fils, Pierre, qui échappa à la mort lors d’un combat aérien dans la Somme. En guise de reconnaissance, l’industriel financera la reconstruction du village détruit, et un petit-fils Fenaille reçoit alors le prénom de Cléry, du nom de ce bourg qui va renaître de ses ruines.

Toujours 14-18. Maurice Fenaille ouvre aux soldats réformés son école d’agriculture de Montagnac, qui devient un centre de rééducation pour les mutilés afin de « rendre la terre à ceux qui la cultivent et qui, en la défendant, ont versé leur sang».

Sur notre territoire sévéragais, à l’air pur du col d’Engayresque, il fait construire la station sanitaire où nombre de soldats viennent se reposer. Il en assume l’entretien, la direction, puis l'offrira au département. Clefs en main... Cet établissement est aujourd’hui un des premiers employeurs du canton.

Il osera créer, sur sa propriété de Zénières, un atelier de fabrication de tapis au point noué, accueillant et formant de nombreuses jeunes aveyronnaises à un métier artistique valorisant. Quand on feuillette le catalogue «Le Point Sarrazin», on peut juger de la beauté des tapis proposés, reflets d’une création inspirée par le Moyen Orient, par la Chine mais aussi par les grands ateliers classiques français (la Savonnerie). Ces œuvres témoignent d’un savoir-faire local que Monsieur Fenaille a contribué à éveiller.

L’évocation de Maurice Fenaille ne saurait être complète sans présenter le mécène. Aussi généreux que discret, nous dit-on. Ce qui est plus rare.

C’est à un affichiste qui deviendra célèbre, Jules Chéret, qu’il confie l’illustration des publicités pour la Saxoléine, le pétrole sans odeur ! C’est à Eugène Viala, le peintre de Salles Curan, qu’il confie le soin de rechercher et de concevoir des cartons, modèles pour les tapis de Zénières. Viala qui trouvait asile chez son protecteur.
A une époque où n’existaient pas les aides publiques aux créateurs, l’industriel sait encourager et faire prospérer les talents.
Certes, Rodin ou Bourdelle étaient des artistes reconnus, mais les commandes particulières contribuaient à leur liberté, à leur indépendance.
Amis de Maurice Fenaille, ils trouvaient, chez lui et en Aveyron, des lieux de séjour leur permettant de se consacrer à leur art, dans un cadre exceptionnel. En ce sens, on pourrait dire que notre homme a inventé les résidences d’artistes (oui, les mêmes que celles – fiscalement moins indolores - qui font l’orgueil de nos édiles au XXI° siècle !)
Elargissant cette générosité, Maurice Fenaille sut aider les musées français à enrichir leurs collections d’œuvres majeures.
A la Société des Lettres de l’Aveyron, en 1929, il transmet l’Hôtel de Jouery, élégante demeure qui abrite à ce jour le très beau musée qui porte son nom.
Enfin, pour être tout à fait juste avec la stature du personnage, il faudrait encore parler de l’érudit, celui qui sut «commettre» cinq volumes sur les Tapisseries de la Manufacture des Gobelins, ou encore une étude du peintre Boucher.

Quand les visiteurs de l’été, émus par ce qu’est devenu notre pauvre château, proposent une liste de mécènes (le sourcil légèrement dubitatif, quand même !), c’est alors que j’aime à parler de Maurice Fenaille.
Hélas, chers amis, s’il se trouve toujours des sponsors pour financer la moindre des c… télévisuelles, il n’y a plus dans ce pays de personnage aussi libre et aussi fou, aussi amoureux du patrimoine, pour offrir à nos yeux et à nos cœurs, tout ce qu’il aurait pu garder - bénéfice exclusif - dans un coffre de banque.
Offrir, un verbe qui n’est vraiment plus à la mode...

Merci Monsieur Fenaille.

6 commentaires:

  1. existe au centre médical Maurice fenaille des commentaires interessants... sur cet homme qui a su avec sa fortune manifester ses humanités...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour, j'aimerais bien voir ces témoignages sur mon arrière-grand-père. Merci.

      Supprimer
  2. NB j'ajoute que Maurice Fenaille a grandement contribué à la sauvegarde d'un autre château promis à la ruine le Château de Montal (Lot) édifié par Jeanne de Balsac en 1519. Ce qui en est dit dans ce blog ne m'étonne pas, pourquoi cet homme n'est-il en effet pas davantage célébré ?
    PS

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui ! Et le château restauré appartient aujourd'hui à l'Etat qui a l'obligation de le faire visiter et de s'en servir comme cadre à des actions culturelles.

      Supprimer
  3. Merci pour ce beau texte sur mon arrière grand père Maurice Fenaille. Le château n'est plus à vendre et appartient à Claude Cochin. J'aimerais bien lire les commentaires du centre médical. J'ai vécu trois ans à Montagnac et pense comme mon ancêtre ouvrir le lieu. Mais contrairement à lui, je cherche des mécènes ! :) Bien à vous.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Alexandra de vos messages. Quelle surprise !
      A la Maison des Consuls, dans la Cité Médiévale de Sévérac le Chateau, nous avons exposé le mécènat de Maurice Fenaille lors des Journées du Patrimoine de 2016. Nombreux furent les visiteurs qui ont "découvert" un homme remarquable à bien des égards.Vous pouvez nous contacter, si vous le souhaitez, au siège de l'Association des Amis du Château de Sévérac.
      Bien à vous et encore merci.

      Supprimer