lundi 16 novembre 2009

Le Pin


Accroché au flanc de la colline, tel un arapède à son roc, le hameau se découvre tout d’un coup, au détour du dernier virage de la route, juste avant le pont de Camps.

Enfin, ça c’est quand on fait la route en remontant l’Orb, de Roquebrun vers Vieussan. Car, si vous faites le trajet dans l’autre sens, il y a gros à parier que vous ne verrez pas l’embranchement…

A regarder la photo prise par Delphine, je constate que sa forme reproduit graphiquement celle de la tour, la Tour du Pin, qui domine le paysage, la base plus large comme enracinée au bord du frais ruisseau, et le sommet du triangle vers les nuages.
C’est (un peu, beaucoup) MON village. L’endroit où j’ai conduit tous ceux que j’aimais, car ici je n’ai que des souvenirs heureux.

Le Pin, c'est d’abord un certain silence : la rue principale est étroite, elle vire entre les maisons, passe sous les porches et maintient avec constance une pente qui fait réfléchir les chevaux vapeur.
Les autres rues, les non- principales, elles tournicotent aussi, et, en plus, elles ont des marches !

Silence vous avez dit?... Oui et non.
Depuis la route, celle qui va au Lau, j’emprunte l’escalier à la rampe de fer jusqu’à la placette, près de la maison de Solange, où la porte de la boulangerie-épicerie est toujours ouverte : mais était-ce la porte de droite ou celle de gauche ? Si les yeux ont oublié, la mémoire olfactive est là : l’odeur du pain sorti du four à bois… vite, acheter ma boite de lait concentré sucré et continuer à grimper, saluer Maria qui interpelle bruyamment depuis la terrasse en surplomb du virage, donner une pichenette à la plus effrontée des chèvres qui passe son museau au-dessus de la petite porte en retrait … ici, une autre placette avec des cris d’enfants provenant de l’extrémité ouest : c’est la minuscule école, la cour de récréation cimentée, le poteau de la corde à grimper en son milieu, et l’ourlet du mur tout autour, largement ouvert sur l’escalier. Continuer, passer sous le porche de la maison de Hugues, étancher sa soif au robinet de la petite fontaine publique, tourner devant la maison de Léa, à l’endroit exact où le boulanger itinérant faisait «étape» avec sa corbeille remplie de pains et de coques, encore grimper pour arriver enfin devant l’église : même la place de l’église est en pente !
Enfin, pas tout à fait : entre la grande porte et le petit jardin où veille encore Jésus par dessus les broussailles, se trouve un petit espace délimité par un mur en demi-cercle, cimenté et bien plat. En 1944, alors que l’Europe s’entretuait, l’abbé Lucien Larroudet, curé du lieu, permit aux jeunes du hameau d’y danser, au grand dam des bien-pensants qui ne surent dire que « vraiment, les jeunes, c'est pas le moment, alors que d’autres donnent leur vie etc. etc. »

Mais je vois que je m’égare, où sommes-nous: en 2009, en 1944, ou lors de mes dernières vacances au Pin ?...

Vrai que le silence fait partie des lieux. Le café d'Aimé Miquel a fermé sa porte. Plus d’épicerie, ni de boulanger – fût-il en tournée. L’église ne s’ouvre que pour un enterrement. Ou bien alors, quand quelque «fêlée» en demande la clef, à la poursuite de ses souvenirs.
Ce jour là, les souvenirs avaient l’odeur du salpêtre sur les murs, du moisi ambiant et luisaient de l’humidité des grandes dalles du sol...Tiens, la grosse corde qui pendait depuis le haut du mur pignon, à travers la rosace jusqu’au clou, est toujours là, la cloche n’a pas dû être électrifiée, mais la nonna qui tous les jours traversait la place pour sonner l’Angélus est partie, elle aussi… Ce jour là, ces souvenirs à l’odeur de renfermé, ils avaient aussi le goût salé des larmes.

Le Pin, c’est aussi les fleurs. Il y en a partout. Des géraniums (pelargonium! dirait mon cousin pisse-vinaigre) bien rouges se détachant sur le schiste des murs, des pommiers d’amour (en langage savant, c’est quoi cousin ?) qui poussent spontanément au détour de la rue. Et dans toute la partie du hameau située au dessus de l’église, les fleurs d’Annette. Annette, quatre-vingt printemps et des doigts toujours verts. Annette qui sème, plante, nettoie et entretient tous les jours, au bénéfice de tous ceux qui passent là.
Léa n’est plus là, elle qui avait le quasi-monopole du fleurissement des autels de la paroisse : elle cultivait pour cela un jardin près du lavoir, au bord du ruisseau, en contrebas de la route. Léa, vieille demoiselle, n’avait pas laissé d’indications sur sa parentèle. Un généalogiste dût chercher longtemps ses «ayants-droit». Léa qui dort son dernier sommeil, au milieu de "sa" vigne, maintenant arrachée, dans "son" tombeau du bord de la route sous des enchevêtrements de ronces. Rêvons que sur ces ronces, un jour, fleurissent les mêmes roses qu’au jardin du lavoir.

Puisque nous sommes à nouveau sur la route, sur le chemin du retour, faire une courte halte à Géminian, petite chapelle rustique qui abritait une très belle vierge de bois doré. En son honneur, le père Larroudet avait composé un cantique émouvant . Il est vrai que le lieu s’y prête :
"…De ton bien-aimé sanctuaire/ Tu regardes à tes pieds/ Couler la belle rivière/ Fleurir les amandiers/ Verdir nos belles vignes / Passer le pèlerin …"

Arrivé là, vous avez le choix : soit remonter le fleuve, visiter le trés beau village de Vieussan et admirer le Caroux,  montagne de lumière, soit  descendre l' Orb, (en canoé, chiche!) jusqu'à Cessenon, en passant par Ceps (point de chute ministériel, mais il s'agit d'une "huile" nordique!) et Roquebrun .

A lire:
Vieussan .Une commune au XIX° siècle (P.Caminade , JP Comps, M. Scanzi)
Photos D.B.

1 commentaire:

  1. Le Pin ? On se croirait dans un autre monde, un autre temps !
    Curieux hameau de la commune de Vieussan, perché certes mais moins que Le Lau.
    Que de curiosités dans le secteur, notamment la bergerie troglodyte, la tour du Pin aussi, architecture militaire dont l’importance a varié en fonction de la conjoncture et, guère plus bas, un four à cade particulièrement bien conservé. A voir encore « lo roc traucat », le Camp de las Masques…
    Geneviève ne vous le dira pas mais il y a eu une mine d’or dans le coin ! Toutefois il n’y a jamais eu de ruée.
    Curieusement la démographie a mieux résisté au hameau du Pin qu’au chef lieu de la commune, il y avait encore une école au Pin alors que celle de Vieussan avait fermé depuis des lustres.
    Bon, je ne vais pas en dire plus.

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