lundi 21 décembre 2009

Au Père Noël, elle ne demande rien.

Elle jeta un nouveau coup d’œil en arrière, par-dessus son épaule, se félicitant au passage d’avoir choisi cette place, dans une travée du côté droit, troisième rang, endroit idéal pour observer tous ces gens qui continuaient à entrer et à s’installer. Les bancs se garnissaient et il n’y aurait bientôt plus d’espaces libres.
La cloche continuait à sonner.
Dans le village, chacun avait été d’abord surpris, puis avait arboré un drôle d’air … Un air de "ravi" … Le "ravi" de la crèche de mon enfance, quand je ne comprenais pas, mais alors pas du tout, qu’on l’appelle ainsi alors, qu’à mon avis, il avait surtout l’air demeuré, simple d’esprit, comment disait-on déjà ? acocolit, le presque fada du coin, quoi !
Cette cloche, dans la nuit et dans le froid, elle intriguait. Voici bien longtemps qu’elle ne s’ébranlait plus que pour les obsèques d’un ancien du coin, un vieux qui - avant de trépasser – avait bien pris soin de préciser :
"La messa… al glèisa dal Pi ! Si le curé ne veut pas… direct au trou !". Et, pour éviter le  "direct au trou !", veuve et orphelins faisaient le siège du prêtre, du chantage aussi parfois…

Mais les enterrements, on n’est plus au temps des guerres de religion, ce n’est quand même pas la nuit que ça se passe …

Tous, les uns après les autres, sortaient de leur maison, grimpaient la rue aux pavés glissants de givre. Au hasard des portes qui s'ouvraient, la file se complétait d’autres "ravis"...
Ils arrivent en nombre sur la placette, et là, deux choses bizarres : la porte de l’église est fermée, mais la lumière perce à travers la vitre crasseuse de l’imposte… et plus haut, les yeux ébahis voient la rosace du vitrail toute éclairée de l’intérieur.
Il faut se rendre à l’évidence, il y a de la vie là-dedans !
Chacun s’est donc installé.

La porte s’est ouverte et refermée encore une fois. Elle, au troisième rang côté droit, ne s’est pas retournée. Comme tous les autres, elle a compris.

Elle ne s’étonne pas davantage quand arrive à sa hauteur le berger, un agneau nouveau-né collé contre son vieux manteau, comme enfoui pour se protéger du froid, suivi des pastrous portant sur leurs épaules des agneaux plus âgés, troublés et inquiets au milieu de tous ces regards, de toutes ces flammes et fumées de bougies, lumières de toutes couleurs.
Les animaux bêlent. La cloche se tait. Le temps est comme suspendu, l’assemblée silencieuse attend…
Quand la musique emplit la nef, et que se mettent à chanter les enfants, alors, alors seulement, chacun se tourne vers son voisin avec des yeux brillants d’émotion et comme un merci sur les lèvres.

Et elle, devant au troisième rang à droite, elle qui n’a personne à ses côtés – c’est un rang à seulement trois places, il est vrai – regarde par dessus son épaule une dernière fois.
Au fond de l’église, debout entre la grande porte et le confessionnal, tout près du clou où la nonna a raccroché la corde, elle distingue des silhouettes qui lui font un petit signe de la main. Il a là Bertouli, l’oncle parti il y a si longtemps, paria pour avoir ruiné son père et fait pleurer sa mère. Oui, oui celui- là même à qui (toi, toi au troisième rang !) tu as refusé l’accès à la tombe où reposaient les parents. Et à côté de lui, n’est-ce pas ton père? Celui qui t‘exaspéra si souvent au point que tu lui crachais des horreurs au visage. Lui, il ne répondait pas… Toi au troisième rang, bien sûr que tu te rappelles, je le vois bien ... Tu baisses les yeux, tu te prépares à quitter ton banc et ce lieu où, tu le sens, tu n’as pas ta place. Tu vas sortir dans la nuit et dans le froid, meurtrie de ces remords qui finiront de te ronger… Mais au fond de l’église, entre la porte et le confessionnal, ils sont toujours là, et c’est à toi qu’ils sourient. Sourire en guise de barrage entre toi et la nuit. Tu ne sortiras pas.  Il n’est plus temps de partir.

Tout là-haut, devant la grepia enfouie sous le lierre et le buis de l’auvent de pierres, l’homme en blanc ouvre les bras et martèle avec force : "Il est venu pour racheter et sauver tous les hommes".

Une lecture? Yves Garric "Pastorale pour le Rouergue"

1 commentaire:

  1. C'est trop peu de dire que c'est une belle histoire... c'est magnifiquement écrit, et c'est surtout habité. "les mots sont les passants mystérieux de l'âme".

    Dommage que cette femme un peu triste soit seule sur son banc du 3ème rang : il y a sûrement des gens (sa famille?) qui auraient voulu s'installer à côté et avec elle.

    Bon et Joyeux Noël

    RépondreSupprimer