mardi 22 juin 2010

Crime et châtiment

Encore une fois, Fédor Dostoïevski met le visiteur sur la piste : il s’agit ici de la morbidité humaine, de l’insociable sociabilité à son paroxysme, et de l'application du droit, par les peines. Tel est le propos de l’exposition conçue par Robert Badinter, ancien Garde des sceaux et président du Conseil constitutionnel, actuellement sénateur, au musée d’Orsay jusqu’au 27 juin.
Dès la première salle trône une Veuve (= la dernière guillotine, retrouvée dans les caves du fort d'Ecouen !) du XIXème siècle, suffisamment éloquente et encore mortifère dans les esprits.

Vous voilà prévenus!...

Les œuvres exposées, sur un spectre stylistique très large (Munch, comme Goya), feuilletent pour nous le catalogue général des meurtres et des assassinats, qu'ils soient politiques ou pécuniaires. Ou  encore, illustrent les figures des meurtriers: le fou et le simplet comme le pauvre, et les figures des victimes: l’opulent comme l’innocent et le politicien. L’art s’empare souvent brillamment de cet envers de la civilisation, le néoclassique David fait du vociférateur Marat un martyr christique, André Masson illustre la revue Acéphale ; des journaux d’époque relatent les faits divers les plus ordinairement sordides, à côté de portraits des sorcières en sabbat chez Goya.

À côté du mal, la répression. Comme le rappelle une porte de prison taguée par des générations de détenus.

La science, sinon le scientisme, s’en mêle, avec des moulages des têtes fautives prônées par la phrénologie (Paul Broca) ou les épigones sociaux du darwinisme (Cesare Lombroso), mais aussi la photographie judiciaire à ses débuts, où le vernis esthétique peine à dissoudre le malaise.

Tout ceci est cosmopolite et plutôt européen, mais il faut signaler quelques trouvailles folkloriques et provinciales, et non des moindres. Ces qualificatifs me semblent un chouia péjoratifs, mon fils!

À côté du Marat de David, figure une œuvre aussi inspirée par la Révolution, une sculpture de Denys Puech : la tête du poète André Chénier, l’âme lyrique de 1789, est tenue dans les mains de sa Muse qui l’embrasse et l’accompagne parmi les Idées au sens platonicien (oeuvre également exposée à Rodez et à Villefranche de Rouergue)
De même, la salle suivante rassemble une série d’aquarelles d’un certain Théodore Géricault sur l’affaire Fualdès, entre romantisme du trait et (proto-)réalisme macabre ; des hommes poignardent l’ancien procureur tandis qu’un joueur de biniou (*) couvre le bruit du forfait, avant de se débarrasser du corps dans l’eau  (les rues du piton de Rodez bruissent encore de l'affaire! )



Voilà pour le 12…










A gauche : dessin de l'affaire Fualdès colll. Sté des Lettres de l'Aveyron.
A droite: Denys Puech, André Chénier, sa muse ...

L’esthétique n’est pas l’éthique, aussi cette brillante et instructive exposition peut-elle donner, sans cynisme ou sadisme au sens premier, une certaine interrogation sur l’âme humaine, aussi civilisée et cultivée soit-elle, et sur ce dont elle est toujours, hélas, capable.
Craignons donc que le catalogue s'enrichisse encore de nouvelles oeuvres!

Un livre? Une toile? :
Surveiller et punir, de Michel Foucault, une thèse discutée et discutable, mais un ensemble rigoureux, déconcertant et salutaire, ne serait-ce que pour comprendre les supplices (Damiens et le lèse-majesté) et les peines leur ayant succédé (le fameux Panopticon de Bentham)
Le Dernier jour d’un condamné à mort, de Victor Hugo, simple, court, poignant et tranchant.
Crime et châtiment, de Fédor Dostoïevski (que l’auteur de ces lignes n’a pas encore parcouru, honte à lui)
Douze hommes en colère, film de Sydney Lumet, classique pénal et moral  (oui, mais moi j'aime!).
Le catalogue de l'expo (en vente sur internet)
Et pour le 12 : les nombreux ouvrages, anciens et récents sur l'affaire Fualdès.

A quatre mains : G.S. fils (et trés peu G.S. , sa mère)

(*) Le biniou habite en général la Bretagne. Le vuvuzela serait anachronique. Ne s'agirait-il pas plutôt d'une cabrette rouergate ?

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