samedi 11 janvier 2025

Une légende sévéragaise

De l’oui-dire à la rumeur, de la rumeur à la légende,

Plaidoyer pour la défense de Louis duc d’Arpajon.

Beaucoup de choses ont été écrites sur l’implication de Louis d’Arpajon dans la mort de Gloriande de Thémines … alors pourquoi écrire à nouveau sur le sujet ?

C’est en fouinant sur internet que je découvre une thèse intitulée « le crime passionnel » soutenue à l’université de Paris VIII.

Un grand paragraphe sur « notre » affaire sévéragaise : le meurtre de Gloriande de Thémines, qu’aurait commandité Louis d’Arpajon, son époux, qui la soupçonnait d’infidélité. Le tout avec force détails, dont le viol de notre Gloriande par les hommes d’armes (détail inédit, jamais évoqué auparavant).

Et une conclusion choquante :  « … pour ces actes criminels d’une particulière cruauté, le Duc ne fut jamais inquiété…. Il était à cette époque, extrêmement difficile d’inculper un seigneur… et la noblesse avait l’habitude de s’auto-amnistier des délits les plus graves. »

Les faits allégués :

Louis d’Arpajon et Gloriande de Thémines se sont mariés, à Cahors, le 1er février 1622.

Jean-Louis, 4me enfant du couple, est né à Sévérac le Château le 9 juillet 1632.

Gloriande est morte à Rodez le 8 avril 1635. Elle aurait été assassinée sur les ordres de son mari.

Un contemporain de Louis et de Gloriande n’en souffle mot. Il s’agit de François de Villaret, avocat au Parlement de Toulouse. Avec son fils Claude, tous deux de Sévérac le Château, il a laissé le journal de l’époque, plein de détails minutieux sur Louis d’Arpajon et sa famille. Rien sur l’assassinat…

 Qui le suggère ?

Saint-Simon. Il écrit, rapidement, sur Louis d’Arpajon et sur la rumeur de l’assassinat de son épouse « ce dont il ne se défendait pas trop ».

Mais Saint-Simon, langue acérée – pour ne pas dire plus – est né en 1675. Il était âgé de 4 ans à la mort de Louis d’Arpajon.

C’est un historien, pas un témoin oculaire. Ses récits sont de « seconde main ».

Il nous dit que Le duc d’Arpajon était « infatigable en mariage ! »

 Mais Il n’a connu épisodiquement que Catherine Henriette d’Harcourt, la troisième épouse de Louis, et de façon plus quotidienne leur fille Catherine Françoise, qui par son mariage avec le comte de Roucy, comte de Roye, était la cousine germaine de Mme de Saint-Simon. Les deux familles se sont ensuite définitivement brouillées.

 A l’armée du Rhin, en 1694, Saint-Simon a fraternisé avec le jeune Louis II, fils de Jean-Louis d’Arpajon, le fils exhérédé, (et père de Anne Claude d’Arpajon, surnommée à la Cour madame l’Etiquette).

Ces deux sources du mémorialiste font douter, sinon de l’authenticité, du moins de l’objectivité des faits relatés.

 Qui le dit ?

-Le capitaine Monestier est le premier à écrire sur cette légende, en 1837… soit plus de 200 ans après la présumée fin tragique de Gloriande : « C’est la version que m’a faite M. de Carbon, ancien sous-préfet de Millau, qui dit la tenir de son aïeule, fille de Catherine Evesque, femme du viguier de Sévérac, présente au supplice de Gloriande. »

Deux cents ans représentent à peu près 8 générations : a-t-on déjà vu une tradition orale perdurer aussi longtemps ?

-L’abbé Bousquet (1847) : « à son retour de Pologne, Louis aurait été averti des infidélités de Gloriande … A peine rentrée au château de Sévérac, elle rendit le dernier soupir »

-Le docteur Molinié (1917) et l’abbé Julien (1926) reprennent la même version de l’uxoricide.

 Qui doute ? 

Plusieurs auteurs aveyronnais, et non des moindres, ont émis des doutes sur l’authenticité de ce crime.

- Henri Affre, dans les Biographies Aveyronnaises, fait des réserves.

- L’abbé Etienne Levesque, en 1905, dans « Fausse Légende »

- Le marquis de Valady in Châteaux de l’Ancien Rouergue (1927), très sceptique, écrit page 147, « un crime peut être inexistant »

Et, plus récemment, le chercheur Christian Fugit, in Etudes Aveyronnaises 2009, page 208. « La chapelle de Lorette est l’expression la plus aboutie de la piété de Louis d’Arpajon. Elle n’est certainement pas le témoignage de l’expiation d’un crime. »

 Certes, Louis d’Arpajon ne s’est jamais défendu de cette rumeur. Mais, de son temps, était-elle vraiment parvenue jusqu’à lui ?

 Parlons dates. Ou plutôt rapprochons les dates :

-La mort de Gloriande, assassinat ou pas, a eu lieu le 8 avril 1635. Le duc d’Arpajon, mari bafoué, est revenu de son ambassade extraordinaire en Pologne en 1648…treize ans plus tard. Certains, déjà à cette époque, avaient le pouvoir de lire l’avenir dans le marc de café !

 -La naissance de Jean Louis le 9 juillet 1632 serait la conséquence de l’infidélité supposée de Gloriande.

Or à l’époque de la conception de cet enfant, Louis d’Arpajon était sur ses terres, en Rouergue. On trouve sa trace en automne 1631 au Massegros (en Gévaudan, limitrophe de Sévérac le Château) où il consulte son ami Vors.

 -Après la naissance de Jean Louis, Gloriande n’a pas été séquestrée : le 2 janvier 1634, elle fait donation par devant notaire à sa demoiselle d’honneur Olympe de Combret, elle était parfaitement libre et autonome comme nous le dit le marquis de Valady.

Le 13 novembre 1634 (soit 5 mois avant son décès), elle représente son mari aux Etats Généraux du Languedoc, à Béziers.

 Jean Louis, fils de Louis d’Arpajon qui le pensait illégitime, a cependant eu une enfance entourée de prévenances et d’honneurs.

-Son père lui fait relever le titre de marquis, après la mort de Pons, son frère aîné.

-Il a été le parrain de Pierre de Villaret, prêtre, lors de sa première messe.

- Le 28 novembre 1651, à 19 ans, au château, il est parrain de Hippolyte Boyer, fils d’un des capitaines (surnommé La Jeunesse) – Archives municipales de SEVERAC, Registre paroissial.

- C’est Christian Fugit qui nous fera remarquer que le prénom de Gloriande a été donné à la fille d’Etienne de Podio, intendant de Jacquette de Clermont, du vivant de Louis.  « Il apparaît peu probable qu’un serviteur de la qualité d’Etienne de Podio, un proche de la famille d’Arpajon, ait nommé une de ses filles Gloriande, si Gloriande de Thémines avait été assassinée.» (C. Fugit La mort de Gloriande de Thémines à l’épreuve des trois Gloriande / Revue du Rouergue N°88- hiver 2006). Ce n’était pas un prénom synonyme d’infamie.

 -On peut enfin rappeler que Louis d’Arpajon a attendu plus de 20 ans pour se remarier : il épousera en deuxièmes noces Marie Elisabeth de Simiane le 3 février 1657.

L’inculpation impossible. Vraiment ?

Quant à l’impunité dont aurait bénéficié Louis d’Arpajon de la part de ses pairs, elle ne parait pas aussi évidente que ce que la thèse sur le crime passionnel le propose.

 Il existait une juridiction d’exception, la « Chambre des Grands Jours ».

Les « Grands Jours D’Auvergne » ont siégé à Clermont Ferrand, en 1665 et 1666, pour juger les délits commis par la noblesse.

Toutes les sessions – jusqu’au XVII° siècle - avaient pour objectif de briser les derniers vestiges de la féodalité et, plus encore, de réprimer ce qui restait des guerres privées, en châtiant les crimes auxquels le crédit des gentilshommes et la complaisance des gens de justice avaient assuré l’impunité. La notoriété des seigneurs et leur puissance les portaient en effet à se considérer au-dessus des lois. C’est donc contre eux qu’ont été en priorité dirigées les foudres de ce tribunal exceptionnel. (Alain Monestier – Les grandes affaires criminelles – Bordas 1988).

Et on peut rappeler que si – à cette époque - la noblesse s’auto-amnistiait des délits les plus graves, il ne s’agissait ni d’une règle ni d’une habitude absolue.

Souvenons-nous de la fin tragique de Charlotte de France, fille naturelle du roi Charles VII et d’Agnès Sorel, et donc demi-sœur du roi Louis XI.

Elle fut assassinée le 13 juin 1473 par son époux Jacques de Brézé, fils du conseiller de Louis XI, et sénéchal de Normandie.

L’histoire est plaisante, hormis pour la victime évidemment.

Le mari était allé à la chasse. Revenu fatigué au château, il lui restait cependant assez de vigueur pour solliciter son épouse. Laquelle, dans une autre chambre, avait attiré Pierre de Lavergne, le veneur de la chasse. Le Sénéchal enfonce la porte, tue le veneur puis sa femme qui avait trouvé refuge sous la couette du lit de ses enfants.

Tout Sénéchal qu’il fut, le meurtrier écopa d’une forte amende et de treize années de prison à Paris. (Jean de Roye notaire royal de Paris)

 Notre Ami Raymond disait que cette légende était le fonds de commerce de Sévérac le Château … Certes.

Mais l’Association des Amis du Château est convaincue que Louis d’Arpajon n’a pas commandité l’assassinat de Gloriande. Les preuves manquent.

Au bénéfice du doute, je demande l’acquittement du duc.

 J’ai plaidé.

 Ce texte a été écrit en hommage à Lucette Buffet qui avait bien voulu réfuter une à une toutes les affirmations de la thèse que je lui avais transmise.