mardi 25 août 2009

"v" comme vendange... et comme voleur.

Quand n’existaient pas encore ces énormes araignées bleues, hautes sur pattes, qu’on appelle machines à vendanger, les vendanges manuelles étaient pénibles. Il fallait supporter l’onglée du début de matinée, avec de la gelée blanche, le soleil accablant de la mi-journée, et les après-midi qui n’en finissaient pas.
De bons souvenirs, il en reste aussi. La pause du casse-croûte du matin quand les travailleurs espagnols mordaient dans un grand morceau de pain, de flûte (on ne parlait pas alors de baguette!) frotté avec un ail, arrosé d’huile d’olive, garni de tomate, d’oignons, et d’une arencade, le tout composant un assortiment coloré, qui empestait l’haleine du vendangeur, mais qui, ma foi, serait bien à la mode de nos jours, presque du régime crétois. Le grand-père, lui, préférait le pâté «Géo» dont la boite de métal s’ouvrait à l’aide d’une improbable et minuscule clef …
Souvenir aussi que la dégustation gourmande dans quelque vieille vigne, des « raisins bons » dont les ceps avaient été volontairement disséminés, cachés, par le propriétaire lors de la plantation de sa parcelle, parmi les souches à vin. Comme ils étaient appréciés ces raisins oubliés, gorgés de soleil, grains ponctués de taches de rousseur, d’une couleur presque marron tant ils étaient saturés de sucres. Dans la «baraque» en bordure de la parcelle, des raisins pendaient au plafond de bois, suspendus à des fils de fer. Etendage censé défier l’agilité des rongeurs. Lors des travaux d’hiver, le podaire pouvait se nourrir encore au sucre des fruits de sa vigne. Parfois, c’était un chasseur, ou un braconnier solitaire, qui poussait les planches de la vieille porte jamais fermée et prélevait là son dessert, mais parfois aussi les rats avaient dévoré les grains, et seuls des squelettes de grappes pendaient tristement aux fils.
Photo J.C.
Triste, c’est moi qui le fus, le jour où j’ai découvert que devant ma baraque de vigne manquaient à l’appel la grande table et les trois «poufs» qui avaient connu la plupart de nos déjeuners (du matin) et dîners (de midi) pendant les vendanges. Ce n’était pas un vulgaire chercheur de champignons qui avait commis ce larcin, car la salle à manger de plein air était de pierre. La table, d’une bonne vingtaine de centimètres d’épaisseur et de plus d’un mètre de large avait certainement nécessité autre chose qu’un panier en osier pour déménager ! Un voisin suggéra alors quelques «pistes» qui menaient, pour la plupart, à des résidences (principales) du coin… La colère n’est pas bonne conseillère, on le sait. Me vinrent alors des idées de vengeance terrible, de celles qui auraient pu me faire côtoyer les longues robes noires. La préméditation, ça coûte cher d’habitude. Alors, j’ai laissé passer.
Mais si je ne suis pas méchante, je ne suis pas amnésique non plus.
Donc, chers amis, si par une belle soirée d’été, vous êtes invités à prendre l’apéritif autour d’une grande table de pierre, enquerrez-vous donc _innocemment_ du pedigree de ladite table. Et, selon le cas, au rapport, fissa.

mardi 18 août 2009

La Maison des Consuls

Comme tout anonyme dans la rue Amaury de Sévérac, la dame avançait la tête, le corps penché en avant (la porte est basse), zieutait l’horizon sur 180° et tentait : « Y a quelque chose à voir, ici ? ». Bien sûr ! La façade aux fenêtres à meneaux, les grilles forgées, les fines sculptures au-dessus du passage voûté, et l’inscription sur les banderoles rayées rouge et blanc «Maison des Consuls», tout indique que oui, il y a certainement quelque chose à voir là-dedans. Elle insiste encore : « Mais c’est quoi ? ». D’expérience, il vaut mieux alors lui couper la parole, l’inviter à franchir le seuil, et à descendre les marches. Avant le fatidique : « Y en aura pour longtemps ? »… Au secours ! Heureusement, il existe toujours des touristes ouverts, sympathiques et surtout curieux. Curieux d’apprendre quelque chose pendant les vacances, à condition que ce ne soit ni prétentieux ni soporifique. Reçu cinq sur cinq par l’Association des Amis du Château et du Patrimoine Sévéragais qui est l’âme de cette maison depuis 15 ans. Petite visite virtuelle…

Cette bâtisse de style Renaissance passe pour avoir été le lieu de réunion des consuls de la ville, les ancêtres de nos conseillers municipaux si on veut faire bref, mais en 1432 tout de même. Adossée à l’ancienne prison sur deux étages (dernière exécution publique en l’an 1778) et à proximité de l’ancien marché couvert, le Sestayral, elle occupe un emplacement de choix dans la cité médiévale, entre d’anciennes échoppes éparses et des maisons à escaliers turriculés. Aujourd’hui, la Maison des Consuls est un lieu d’expositions et de mémoire sur la vie à Sévérac-le-Château depuis le Moyen Âge (les familles de Sévérac puis d’Armagnac) jusqu’à l’époque la plus proche (le XXème siècle, qui a vu partir les dernières lauzes de la toiture du château, hélas…), en passant par le temps du seigneur Louis d’Arpajon (1590-1679), duc et pair du Royaume de France, soldat du Roi, mécène et bâtisseur. Ce sont précisément la généalogie et l’œuvre de Louis d’Arpajon qui sont accessibles dans la troisième salle du rez-de-chaussée : les portraits de sa famille regardent la maquette du château tel qu’il était au XVIIème siècle, maquette réalisée par deux architectes voici une dizaine d’années. Sévérac était le plus beau château du Rouergue… à l’époque. Tout visiteur bien accroché à la rampe d’escaliers hasardeux peut voir que la maison pluriséculaire est dotée de deux galeries Renaissance superposées au dessus de la Cour d’Honneur, rénovées depuis la conclusion du bail emphytéotique en 1994. Voici la belle Salle des Consuls. Jugez plutôt…

Les efforts en recherche et en nettoyage dans cette salle encore habitée par des lapins il y a quelques décades, ont permis de découvrir et de mettre en valeur un ancien plafond peint et une cheminée de gypseries. Certes, la présence de consuls médiévaux plus vrais que nature dans cette pièce aménagée dans un style XVIIème a de quoi surprendre, mais le passage du chaos des époques et des siècles semble avoir abouti sur un tableau cohérent (n’y aurait-il pas un sens de l’Histoire ?). En effet, plus loin sur la droite, une pièce fraîchement rénovée par l’association (plafond à la française et cheminée en tuf avec le blason de la ville) est le lieu d’expositions thématiques (les mesures d’Ancien Régime, la cuisine Renaissance…) renouvelées chaque année. En 2009, vous êtes invités à découvrir «de fil en aiguille, l’histoire du textile dans le sévéragais, et ailleurs».

Avant de franchir la porte de sortie, vous prendrez le temps de découvrir « La médecine au Moyen Âge ». On y apprend qu’en ce temps là, le praticien n’était payé que s’il guérissait le malade. Qui a dit : c’est une idée pour réduire le trou de la sécu ?.. Un diaporama présente en outre l'histoire de Sévérac dans l'histoire de France... dans la prison, en son, textes et images, le tout conçu et réalisé par un adhérent lui aussi entre 12 et 34 ! Ce texte a été écrit à quatre mains, pour ceux qui hésitent encore à se fatiguer sur les antiques calades (ça monte, c’est vrai), pour ceux qui pensent avoir tout vu et tout appris, un peu à tort, car le concret est irremplaçable en matière de vieux cailloux. Peut-être cet avant-goût tout électronique donnera-t-il à quelques surfeurs égarés l’envie de se rendre à Sévérac-le-Château… Crédit photos : A.Poujol Bibliographie conseillée : Alain Poujol et J.-P. H. Azéma, Sévérac le Château - Porte du Rouergue (2008) Abbé Julien, Histoire de Sévérac-le-Château (ancien épuisé, mais réédité) Dr J. Molinié, Sévérac-le-Château en Rouergue (ancien épuisé, mais réédité) Actes du colloque sur Louis d’Arpajon (2006), Société des Lettres de l’Aveyron

jeudi 13 août 2009

L'ami Louis

Il me souvient des années où je vendangeais au sein d’une «colle» assez atypique. À côté des vendangeurs «lambda», se trouvaient deux frères septuagénaires, peut-être même plus âgés. L’un était resté célibataire et l’autre était devenu veuf. Pendant les vendanges, tous les deux avaient une double vie. Ils passaient leur journée dans les vignes _ normal _, et la nuit ils étaient au café de la place à jouer aux cartes jusqu’à pas d’heure, ou chez eux à lire des livres d’histoire, mais attention, des livres de la grande histoire, celle avec un grand H. Seuls les destins de Babylone, d’Alexandre le Grand, l’épopée napoléonienne, ou autres récits épiques avaient leurs faveurs. Pour nous, les «lambda», c’était des vendanges culturelles, la tête et les mains en quelque sorte. Pour les deux frères : la nuit au bistrot ou à tutoyer l’histoire, et la journée dans les vignes (pas toujours de leur plein gré).
Donc, ce jour là, dans la touffeur du mois de septembre, grande discussion sur un problème de société tout à fait en adéquation avec le lieu et avec l’époque : la corrida. Fusaient tous les arguments habituels : le sang, la mise à mort, l’inégalité des chances etc. etc. Chacun disait la sienne, il y avait les «pour» et il y avait les «contre». Et, comme dirait Coluche, il y avait aussi ceux qui n’étaient «ni pour ni contre, bien au contraire», et qui, attendant surtout l’heure de rentrer à la maison, étaient trop contents de faire une pause. Louis faisait partie de ceux qui ne peuvent pas faire deux choses en même temps : travailler et parler. Il s’arrête donc de couper les raisins, relève la tête, et dans le même mouvement lève aussi la serpette, comme s’il voulait ponctuer de doctes paroles, puis assène : «Et le ver de terre au bout de l’hameçon, hein, tu crois qu’il se régale, lui ?... ».
J’aimais bien Louis, il avait l’art de traduire clairement, abruptement même, ses convictions en peu de mots et phrases. Je me souviens l’avoir souvent entendu dire, dans une espèce de francitan que dans la vie, il y avait los apérich… et los autras. La dernière partie de la sentence était suivie d’un mouvement du menton désignant quelqu’un de son proche entourage ! En substance et en français : il y a ceux qui sont éveillés, clairvoyants, dégourdis, voire malins… et puis il y a les autres, les pas dégourdis etc. Pas très flatteur pour celui qui était ainsi désigné. Témoin de cette scène, qui se répéta à plusieurs reprises, je crois avoir compris qu’il s’agissait d’une «petite vengeance». Je m’explique. Vieux garçon, Louis avait donné son bien «à fonds perdu», comme ils disent là-bas, à la fille unique de son frère. L’oncle s’entendait bien avec sa nièce et le respect qu’elle lui témoignait allait de pair avec une réelle affection souvent teintée d’ironie. Mais il n’en était pas du tout pareil avec le neveu par alliance, le mari de la nièce. Et chaque jour de ces vendanges «culturelles» qui donnaient un public à Louis était l’occasion d’autant de piques plus ou moins acérées mais toutes pointées dans la même direction … suivez mon regard !
Ce n’était cependant pas un psychodrame familial, loin de là. Louis était intelligent, fin et parfois même finaud ; il avait le don de l’épopée, sachant comme personne conter une histoire, un fait-divers, une anecdote. Au milieu des ceps de vigne, il interrompait son travail pour déclamer, au bénéfice de qui voulait l’entendre, et en alexandrins s’il vous plaît, tel ou tel évènement survenu dans son village.
Mais l’épopée n’était visiblement pas la tasse de thé du neveu, fonctionnaire de son état, viticulteur les week-ends et jours de grève.
Dans ce groupe familial un peu particulier, à l’époque des vendanges, l’originalité régnait. Il y avait des réflexions, des comportements étonnants, en tout cas pas très scientifiques. Depuis plusieurs années déjà, sous l’impulsion des jeunes, la mécanisation et les nouvelles pratiques agricoles s’étaient invitées dans les vignes : les raisins coupés par los vendemiaires et mis dans les seaux, étaient versés dans la benne attelée au tracteur, la benne emplie était amenée à la cave coopérative, cependant qu’un deuxième conteneur prenait place au milieu de la colle. À la cave coopérative le chargement était pesé, en poids et en degré, et un ticket remis au viticulteur en faisait foi. Rien de bien compliqué jusque là ; tout le monde comprend. Mais, apparemment, les outils de la comprenette ne fonctionnaient pas tout à fait pareil au sein de la famille de l’exploitant. Revenu dans la vigne, remorque vidée, le tractoriste était assailli de questions. Le poids et le degré, ils voulaient tout savoir. Et là, c’était le pompon!
Passe encore pour Louis et pour son frère, ils étaient âgés et avaient connu, non pas l’âge du bronze, mais celui du cheval, de la charrette et de la comporte. Mais le neveu et la suite, tout de même !... Se déroulait alors une épreuve mathématique spéciale où le poids de chaque benne était converti en unités «comporte». L’unité «comporte» n’est pas très fiable: 85, 90, 100 kilos ? Combien? Tout dépend, non pas de l’âge du capitaine et de la force du vent, mais de l’âge et de la force de celui qui était, dans le temps, lo quichaire, celui qui maniait la masse, écrasait et tassait les raisins versés dans lo semal jusqu’à ce que le jus montant au dessus des fruits, à deux doigts de verser hors du récipient, le contraigne à arrêter de «quicher».
Suivaient alors de savantes statistiques : cette vigne, en 1960, en 1968, combien ? (sous-entendu, combien de comportes), pas plus ? Ah bon ? Oui mais ça pesait ! (ici, unité de degré d’alcool, faut suivre !)
Je me souviens encore de la façon très particulière selon laquelle, parfois, s’organisait la récolte. C’était le cas pour une petite parcelle, affligée d’une forme qui ne s’apparentait ni au carré, ni au losange, ni au cercle, enfin à rien de géométriquement connu. Louis se mettait à la manœuvre et dirigeait l’attaque, de front côté large, puis en long, et enfin «on va l’essayer de galis ! ».
Donc, si vous m’avez bien suivie jusque là, vous avez compris que ces vendanges faisaient réviser aussi bien l’histoire que les mathématiques, spécialité calcul mental, les statistiques et la géométrie. Cependant, les étudiants ne s’y bousculaient pas... C’était il y a presque trente ans. Louis n’est plus.
À Dieu, l’ami.

Un livre ?
Jean Claude Carrière : Le vin bourru

jeudi 6 août 2009

Randonner, mais pas raconter

Ce matin nous avions accepté l’invitation, déjà lancée à maintes reprises, pour une petite randonnée en pays sévéragais. Trois randonneurs et un chien.
Entre herbes sèches crissant sous les pattes (quatre pattes et six pieds !) et ciel bleu, d’un bleu, mais d’un bleu… enfin tout le monde a compris qu’il faisait beau temps. Ah, soufflait aussi un petit vent sympathique, ni frisquet ni fort. Bref, une belle journée et une belle balade sur le causse, et même sur la devèze… Et là, stop. Tout le reste est «secret défense» a dit le chef du groupe. Tout : le tapis de cardabelles (- et si j’écrivais son nom latin carline acaulis, pour tromper l’ennemi? non?- Non!), les cardabelles philippines, les mêmes mais accolées par deux, des siamoises quoi ! Non?- Non! Donc on ne parlera pas de la flore caussenarde qui est, on le sait, protégée.
Après l’ascension le long du petit bois, pause méritée pour une vue panoramique magnifique. À l’ouest, Sévérac et son château, au sud je ne sais pas trop (je ne m’en souviens pas ! «on dirait le Sud»), à l’est se devine à peine l’Observatoire du Mont Aigoual et vers le nord, le plateau de l’Aubrac. Ah l’Aubrac ! faudrait pas oublier d’y aller bientôt, en tout cas avant le 15 août, si on veut récolter le thé (calament), goûter les myrtilles et les framboises avant que les parisiens n’aient tout embarqué… Aïe ! aïe ! aïe !... J’ai compris. Les paysages ça va, on peut en parler, mais inutile de donner des idées de cueillette à ceux qui, hors saison, ne fréquentent que le rayon surgelé du supermarché de la ville… Bon, passons donc aussi sans s’arrêter ni disserter sur les coins à champignons, sur ceux où « barouillent » quelques bêtes à corne. Et finissons donc la boucle, en rouspétant contre cette censure locale.
Frustrée, je le suis. Mais tout d’un coup, je vois venir la revanche : devant nous, un abri de berger ! Non, pas une caselle, mais trois murs assez hauts et larges, assemblés de pierres sèches, comme trois rayons d’un même cercle. Et on m’explique que cette forme permettait au pâtre de se protéger du vent de quelque côté qu’il vienne, tout en gardant un œil sur son troupeau. C’est tellement beau, que ça, je ne le garderai pas pour moi ! Latitude et longitude sur demande.
Livres conseillés : ceux de randonneurs-écrivains hors pair R.L. Stevenson : Voyage avec un âne à travers les Cévennes Jacqueline de Romilly : Sur les chemins de Sainte Victoire

dimanche 2 août 2009

Un pays, une terre, un homme et un vin

Ingrid, notre amie de Pennsylvanie, voulait profiter de son séjour en France pour visiter un domaine viticole. Rendez-vous fut pris avec Xavier Gombert, viticulteur (ou vigneron ?) du Château de Saliès, dans la commune de Quarante (Hérault). Pas très facile à trouver, le domaine, même pour Tom-Tom, mon copain de la rue du e-commerce… Nous y voici. Saliès est un château du 19° siècle dont on apprend qu’il fut construit par (pour) un Viennet, d’une famille très connue en biterrois. Belle bâtisse avec une véranda développée des deux côtés du perron, presque une orangerie, et deux ailes à l’équerre. Xavier nous fait remarquer l’enduit «en nid d’abeille» qui recouvre les façades de ces ailes et explique qu’il s’agissait d’un signe de reconnaissance entre partisans du second Empire. Pas de quoi aller en prison pour ses idées, mais les afficher tout de même pour les initiés !... La grande allée bordée de pins parasols, et aussi de vieux amandiers, nous conduit vers les vignes. À cette époque, explique le guide, la vigne est en fleur… Je dois avouer que je n’ai jamais vu les fleurs d’une vigne, ni senti l’odeur… rien de commun avec les roses du jardin, il me semble. Mais pourtant elle fleurit et elle sent, puisqu’on vous le dit. OK. OK. C’est comme vous voulez. Sur cette terre de couleur claire, argilo-calcaire dit le maître, les raisins sont là, promesses d’une belle récolte. «Si le temps le mène bien», ajoutait mon oncle. Et de nos jours, même si le temps est propice, pas de grêle, pas de sècheresse, etc., il faut aussi malheureusement préciser que l’abondance et/ou la qualité de la récolte ne sont plus des gages d’un revenu assuré. C’est de la plate-forme suspendue tout en haut de la bâtisse (du souffle et du mollet, courage, courage !) que Xavier nous dévoilera l’étendue de sa propriété. Splendide.
Dans son chai sombre et frais, comme il se doit, nous serons invités à une dégustation verticale, soit plusieurs années d’un même vin. Certains du groupe trouvent dommage de cracher le breuvage. Mais déguster n’est pas boire dit le maître ! Une cave plus fraîche que les autres abrite les fûts de chêne destinés au vieillissement des cuvées particulières. Xavier indique que cette cave est, en fait, l’ancienne citerne du château. Frais dedans, on l’a déjà dit ! Ingrid explique qu’elle ne pourra pas emporter, ni en soute, ni en cabine, la moindre bouteille Xavier lui offre un lot de consolation : un panel d’étiquettes des vins de Saliès. Cela n’avait pas l’air de la consoler. Lors de l’apéritif offert dans le parc, nous avions apprécié le vin blanc, servi très frais, spécialité de Saliès nous a-t-on dit, du Chardonnay. Va pour deux cartons de Chardonnay qui nous rappelleront cette visite. Ce vigneron, je le connaissais déjà, depuis les années 80 où il avait souhaité s’installer en Aveyron. Qu’il s’intéresse à l’élevage des Aubrac ou à celui de son vin, Xavier est resté le même, compétent, d’une nature authentique, n’hésitant pas à s’investir dans un discours pas très«professionnellement correct». Nous avons aimé son vin et aussi le vigneron. Merci Xavier.
Dans le périmètre géographique de la commune, pour conclure en beauté la journée, allez donc visiter Sainte Marie de Quarante, sa belle façade romane ornée de bandes lombardes, dont l’intérieur abrite un buste-reliquaire en argent de Saint Jean Baptiste au visage à la fois apaisé et grave.
Bibliographie conseillée: (pour le fun!)
Yves Garric : La Palme du Vin

samedi 1 août 2009

Le Moulin du Rédounel

(… La Couvertoirade, presque la frontière entre Hérault et Aveyron !)
« Ce sont les lapins qui ont été étonnés !... Depuis si longtemps qu’ils voyaient la porte fermée, les murs et la plate-forme du moulin envahis par les herbes, ils avaient fini par croire que la race des meuniers était éteinte … » .
Pas tout à fait.
Ce 30 juillet 2009, les « Amis de La Couvertoirade » étaient en fête… Et pour cause ! Une belle page d’histoire locale s’écrivait en direct. Il était une fois un vieux moulin… vieux et mutilé : plus d’ailes, une base de pierres tronquée à la n’importe comment, pas arasée, non, déchiquetée, ouverte aux quatre vents – c’est le cas de le dire. Depuis des lustres, il ne ponctuait plus l’horizon de ce coin de Larzac : il se laissait à peine deviner. Il dominait encore le paysage du causse, mais sans attirer le regard ; il faut préciser _à sa décharge_ que le beau village de La Couvertoirade captait tous les regards et toutes les attentions.
Qui pouvait remarquer ce débris du petit patrimoine rural, fort délabré, surplombant l’enceinte fortifiée du monument-phare du Larzac Templier et Hospitalier ? Et surtout, qui pouvait être assez fou pour s’engager dans cette véritable épreuve d’endurance : la restauration d’un moulin abandonné ?...

Jeudi, sur le causse tout roussi de soleil et de sècheresse, fouettés par un fort joli vent de circonstance, les invités ont reçu à la volée les chiffres lancés par les uns et les autres. Le montage financier, avec son corollaire -politiquement obligatoire- des aides publiques, le montage juridique (bail emphytéotique par la commune), l’assistance de l’Association des Amis des Moulins, des Bâtiments de France, des bénévoles de Montaigut etc. etc. …
Qu’il fut fécond, le ministère de la parole. Ministère de la salive, précisait  le retraité à mes côtés !
Mais, qui pourra dire et quantifier la dose d’inconscience qui fut nécessaire aux Amis de La Couvertoirade pour se lancer dans l’aventure ? …

Aventure, ce fut justement le terme employé par Bernard, l’artisan qui a « coiffé » le moulin.
Le savoir-faire ? Il était quasiment perdu. On nous expliqua d’ailleurs que Le Rédounel est le seul moulin à vent restauré en Aveyron, et que dans les départements limitrophes les exemplaires se comptent avec les doigts d’une seule main.
Revenons à Bernard.
Mille cinq cents heures de travail (et peut-être quelques nuits blanches ?) pour la toiture, la charpente et les ailes. L’artisan a forgé lui-même toutes les pièces métalliques, les clous, et les écrous. Pour ces derniers, notre artiste s’est plu à les mettre en forme de fleurs !… son côté «conquérant de l’inutile», mais qu’est-ce que c’est beau ! Le cabestan fait dans un tronc de chêne repose, de chaque côté, dans un support en forme de berceau également sculpté, la charpente est en vieux chêne bien sur. Passons à l’extérieur, sur la coiffe elle-même, les bardeaux sont en acacia. Combien déjà de petites tuiles ? ... Cette coiffe est mobile et tourne sur elle-même grâce à des sortes de roulements à bille en bronze, conçus et fabriqués par notre sévéragais. Et les ailes, les avez-vous vues ? Impressionnantes, ces ailes, par leur taille, par leur forme _comme des nœuds pap’s gigantesques et étirés– elles ne portent pas encore leur toile, l’écartement en est assuré par de gros filins (qui a dit les mêmes qu’au viaduc de Millau ? ...), les côtés sont en acajou, pour éviter le pourrissement, ici l’on ne verra pas « vignes sauvages, mousses, romarins, et autres verdures parasites qui [lui] grimpent jusqu’au bout des ailes ». Le dessous de la coiffe est en tilleul : ceci pour éviter l’intrusion des rongeurs et autres indésirables. Donc, dans ce moulin, il n’y aura pas de « locataire du premier » pas de «vieux hibou sinistre » comme à Fontvieille !
  Mon compte-rendu serait impubliable dans n‘importe quelle feuille de choux : « Trop long ! Hors sujet ! » dirait le patron.
Au fait, quel était le sujet ?
Témoigner de la restauration d’un moulin. Mais aussi et surtout : donner envie à ceux qui me liront de visiter La Couvertoirade, un des plus beaux villages de France ; donner un coup de chapeau à un artisan qui le mérite, qui travaille admirablement bien et préfère l’aventure du sur-mesure à la fabrication en série (mais chut ! faut pas trop le dire) et puis aussi donner l’envie de redécouvrir l’œuvre de Daudet et, ne l’oublions pas, de Paul Arène. Et puisque nous sommes en littérature, je conclurai en citant Gaston Bonheur, le régional de l’étape, qui se plaisait à dire : « J’aimerais que sur chaque colline tourne un moulin à vent … ».
Mes chers amis, amis de La Couvertoirade, amis de Sévérac-le-Château, c’est tout le bonheur (n’est-ce pas, hors éoliennes…) que je vous souhaite.

Conseils bibliographiques : Lettres de mon moulin, Alphonse Daudet et Paul Arène - Petite encyclopédie des vents de France, Honorin Victoire